18/04/2025 dedefensa.org  10min #275355

Le Kissinger de Trump ?

 Ouverture libre  

• Comme Nixon avait son Kissinger, Trump a son Witkoff. • Une façon déjà vue de contourner les barrages et les pièges des bureaucraties US. • Steve Witkoff est un "membre de la famille" dont on sera amené à beaucoup parler.

18 avril 2025 (16H50) – Depuis le dernier jour avant sa prestation de serment, le nom d'un ami de Trump a commencé à être mentionné, c'est-à-dire clamé avec fracas. L'intervention effectivement fracassante de Steve Witkoff à Tel Aviv, forçant à l'interruption du Shabbath du premier ministre Netanyahou, – seul un juif (Witkoff) peut oser faire cela dans ces temps d'extrême sensibilité, – permit un redressement remarquable, quoique temporaire bien entendu, de la situation au Moyen-Orient. L'exploit fut accompli malgré les réticences considérables de Netanyahou. Le nouveau président (Trump) en gagna un temps de popularité grandie mais surtout inaugura sa politique extérieure par l'affirmation d'une fermeté inattendue.

Depuis, Witkoff est sur tous les fronts. L'"envoyé spécial du président au Moyen-Orient" l'est désormais aussi à Moscou, pour le problème ukrainien, également pour ce qui concerne l'Iran en vue d'une éventuelle évolution négociée. Il est de toutes les grandes négociations entreprise par l'administration Trump, et désormais le chef d'une des deux factions entourant Trump : lui, Witkoff, avec les réalistes JD Vance, Tulsi Gabbard, Pete Hegseth ; contre Kellogg, Marco Rubio, le conseiller à la sécurité nationale Waltz, du côté plus belliciste et, disons, neocon-light.

Witkoff est détesté par Zelenski, ce qui le conforte dans son écoute bienveillante des arguments russes et contribue largement à renforcer la politique de rapprochement de Trump avec la Russie. Tout cela, par la force des choses et les positions des acteurs, tend à susciter des politiques échappant à l'emprise des bureaucraties des grandes forces du gouvernement. Comme le dit l'article ci-dessous du Russe Kirill Strelnikov, Witkoff, bien que milliardaire, et "bien que juif" diraient certains, échappe complètement aux ukase du DeepState et il est haï par l'establishment washingtonien.

C'est une situation singulière, mais qui n'est pas sans précédent selon une recherche permanente des présidents : échapper à l'emprise des forces bureaucratiques qui sont en principe à leur service et qui s'emploient surtout à leur imposer leurs propres points de vues. En fait, et du seul point de vue structurel, nous dirions que l'attelage Trump-Witkoff a une réelle ressemblance avec l'attelage Nixon-Kissinger, essentiellement lors du premier mandat nixonien (1969-1973), le second ayant été dévoré par le Watergate. On ne parle aucunement de similitude des personnages, des orientations, ni de similitudes des rapports dans les deux ensembles, mais de l'extrême similitude structurelle.

Toutes les grandes décisions de politique extérieur et de politique stratégique furent prises entre le président et son conseiller pour la sécurité nationale et directeur du NSC Kissinger. Le secrétaire d'État Rogers et toute sa bureaucratie furent laissés complètement de côté lors de la grande décision de 1971 d'établir des relations diplomatiques avec la Chine et de réaliser la visite de Nixon à Pékin ; Kissinger menait, sous la conduite de Nixon, les négociations stratégiques SALT-I, réduisant notablement le rôle du Pentagone et du Joint Chiefs of Staff. Ces situations provoquèrent évidemment des heurts jusqu'au départ de Rogers en 1973 (remplacé par Kissinger), voire jusqu'à l'implication du président du JCS l'amiral Moorer dans les coulisses du "véritable" Watergate... Par exemple, l'on peut raisonnablement estimer que Rubio va difficilement supporter le rôle et les prérogatives données à Witkoff, jusqu'à une possible crise à l'intérieur de l'équipe.

L'efficacité de la méthode est largement avérée, et notamment dans ses effets sur l'opinion publique. Il est manifeste que le rôle de Witkoff, son installation dans une position de d'extrême arrangement avec les Russes et Poutine jouent un rôle dans une évolution remarquable de l'opinion publique aux USA. Une enquête des plus sérieuses (du  Pew Research Center) montre que le nombre d'Américains considérant la Russie comme un "ennemi" est en baisse marquée.

« Voici quelques points clés à retenir concernant l'opinion des Américains sur la Russie :

» La moitié des adultes américains considèrent la Russie comme un ennemi des États-Unis, contre 61 % en 2024. Pour la première fois depuis le début de la guerre russo-ukrainienne, davantage de républicains considèrent la Russie comme un concurrent plutôt que comme un ennemi.

» La moitié des Américains considèrent aujourd'hui la Russie comme un ennemi des États-Unis, tandis que 38 % la considèrent comme un concurrent et 9 % comme un partenaire. Cela représente une baisse de 11 points de l'opinion sur la Russie comme un ennemi depuis l'année dernière et de 20 points depuis mars 2022, quelques semaines seulement après l'invasion russe de l'Ukraine. »

On trouve donc ci-dessous, un texte du Russe Kirill Strelnikov, pour RIA Novosti. Il est également évident que les Russes se réjouissent particulièrement de l'entrée en scène d'un partenaire si réaliste, qui semble avoir échappé à la contagion de folie qui a frappé les dirigeants occidentaux, notamment depuis février 2022.

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Witkoff fait partie de "la famille"

L'article d'hier de l'édition allemande du Bild, intitulé « Pour plaire à Poutine, Trump rejette un accord de 50 milliards avec Zelensky », illustre parfaitement comment la destruction irréversible de l'esprit de Zelenski n'a pas permis à ce dernier de comprendre à temps que Trump l'avait abandonné.

L'intrigue extérieure est que Zelenski a publiquement proposé aux Américains (lire : Trump) de vendre à Kiev pour 50 milliards de dollars d'armes américaines, dont dix batteries de systèmes de défense aérienne Patriot. Le paiement était prévu avec des fonds russes gelés, les Européens promettant d'ajouter les fonds manquants.

Cette proposition a été soigneusement préparée en collaboration avec les Britanniques et les Français, qui ont même écrit une lettre de repentance à Trump pour Zelenski deux semaines après son éviction de la Maison Blanche. Tout était planifié : le moment, le montant et le message "Les bourreaux russes ont bombardé cyniquement et délibérément des civils à Soumy. Il est donc urgent de protéger les civils sans défense", – et 50 milliards de dollars en liquide constituent une belle somme, à la manière de Trump, qui devrait réveiller en lui l'instinct d'homme d'affaires et lui permettre de vanter devant le public américain le « super deal pour la gloire de l'Amérique ». L'appât parfait, le piège parfait, le lieu et le moment parfaits.

Mais l'impensable s'est produit : Trump a catégoriquement refusé.

On entendait les journalistes de Bild se gratter le crâne : comment ? Trump refuse de ne pas donner, de ne pas donner à crédit, mais également de vendre des armes "même pour de l'argent" ?!

À Kiev, le refus de Trump a provoqué un choc terrible et une indignation. "Les États-Unis ne souhaitent pas mettre fin au bain de sang, comme Donald Trump l'a répété à plusieurs reprises", fut un des arguments. Et surtout, bien sûr, "cette décision est absurde d'un point de vue économique ; après tout, les exportations d'armes représenteraient des revenus importants pour l'économie américaine". Il est intéressant de noter que peu de temps auparavant, le cabinet de Zelenski s'était vanté d'avoir « réussi à convaincre les Américains » de conclure un accord sur les ressources et d'avoir « accepté » de réduire la dette ukrainienne de 300 à 100 milliards de dollars. Le fait que les Américains se soient soudainement désintéressés de ce sujet et aient renoncé à des sommes rondelettes n'a alarmé personne à Kiev à l'époque.

Mais en vain.

La situation actuelle rappelle parfaitement l'épisode du film ‘The Fight', où le personnage de Robert de Niro dit au téléphone au banquier qui l'a trompé : « Oubliez l'argent.» L'autre répond, confus et incrédule : « Mais pourquoi ?» De Niro : « Parce que je parle à un homme mort.»

Tout porte à croire que Trump a également définitivement clos le dossier de « l'argent ukrainien » et de Zelenski personnellement, après que ce dernier a attaqué un membre de sa « famille » pour des querelles politiques et monétaires, – une pratique que Trump ne pardonne à personne.

Il s'agit de l'envoyé spécial du président américain Steve Witkoff, à qui Trump a confié la discussion de la question ukrainienne, d'une importance capitale, avec Vladimir Poutine. Le choix de Witkoff pour cette mission cruciale n'est pas un hasard, car Trump lui accorde une confiance absolue, y compris peut-être plus qu'en lui-même.

Trump et Witkoff partagent 40 ans d'amitié, et Donald Trump le qualifie de « grand ami » pour une bonne raison. Lorsque, par exemple, Trump a été reconnu coupable de 34 chefs d'accusation pour crimes graves, Witkoff était l'une des rares personnes présentes dans la salle d'audience à n'être ni avocat, ni assistant, ni membre de la famille Trump. Tout au long du procès, de nombreux alliés de Trump se sont succédé, mais c'est Witkoff qui est resté constamment à ses côtés dans les moments cruciaux. Sans parler du mariage du fils de Witkoff qui s'est déroulé à la résidence personnelle de Trump, Mar-a-Lago (ce qui n'était autorisé à personne, ni avant ni après) et du fait que Trump a utilisé le jet privé de Witkoff pendant la campagne électorale, le jugeant plus sûr que les avions gouvernementaux surveillés par les services secrets. Witkoff se rend maintenant en France au nom de Trump pour faire pression sur les Européens au sujet de la réduction de l'aide à Kiev.

Zelenski n'a pas compris à qui il avait affaire lorsque, après la visite de Witkoff à Saint-Pétersbourg, il l'a publiquement accusé de « répéter les narrative du Kremlin ». De même, après avoir évoqué la reconnaissance par Witkoff de la Crimée, de la LDPR, ainsi que des régions de Kherson et de Zaporijia pour la conclusion d'un accord de paix, il a piqué une colère et déclaré que « discuter de cette question dépasse [les compétences de Witkoff] ».

Steven Witkoff était soutenu par le secrétaire d'État Marco Rubio, Trump Jr. et Elon Musk.

Donald Trump Jr. a expliqué ce qui paraît incompréhensible à beaucoup : « Personne dans l'administration de mon père ne s'est battu autant que Steve Witkoff pour mettre fin à cette guerre et établir une paix durable entre la Russie et l'Ukraine. L'establishment le déteste pour cela, mais les vrais dirigeants combattent pour la paix, pas pour la guerre. » Musk l'a soutenu : « Nous avons de la chance que Steve Witkoff fasse tout cela. »

Contrairement à son habitude, Trump n'a pas commenté l'insulte infligée à son meilleur ami. Au lieu de cela, la Maison Blanche a déclaré que Trump « n'avait pas l'intention de se rendre en Ukraine », le bureau du président américain a informé les partenaires du G7 que les États-Unis ne signeraient pas de déclaration commune condamnant la frappe russe contre les positions des forces armées ukrainiennes à Soumy, mais que « Washington se concentrait sur le maintien du dialogue avec Moscou ».

Witkoff lui-même a déclaré que Poutine et Trump « entretenaient une grande amitié et qu'elle allait se poursuivre – et c'est vraiment une bonne chose pour le monde », et que les relations entre la Russie et les États-Unis prenaient une « nouvelle forme » grâce à « des opportunités commerciales convaincantes ». Ce que dit Witkoff correspond à ce que pense Trump.

Il est évident que, pour Trump, l'Ukraine se transforme en un atout secondaire, désormais considéré non comme rentable, mais comme une source de pertes et de coûts. La poursuite du conflit nuit manifestement aux intérêts stratégiques des États-Unis, notamment dans le contexte des récents événements avec la Chine, du Moyen-Orient et de la crise interne. Cinquante milliards de dollars versés par Zelenski, dans ce cas précis, ne représentent rien pour Trump.

Zelenski était persuadé d'acheter Trump grâce à ses ruses, et donc que les échanges de Witkoff avec Poutine n'avaient aucune importance ni aucun sens. Il s'est trompé dans un nouvel accès de narcissisme – il avait tort sur toute la ligne.

Et le fait que Zelenski ait fait de Trump son ennemi personnel n'est qu'un bonus supplémentaire pour la Russie. La seule question est désormais de savoir qui nous débarrassera de ce blanc-bec.

Kirill Strelnikov

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